C’était sans doute en début d’automne 1997, un début de soirée, je participais à une réunion organisée par Paulette Guinchard. Une loi est en préparation qui portera sur la lutte contre les exclusions. Dix ans auparavant, en décembre 1988, la loi instaurant le revenu minimum d’insertion indiquait dans ses dispositions générales que « l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficultés constitue un impératif national ».
Pourtant la pauvreté ne faiblit guère et la lutte contre les exclusions, contre les obstacles à l’insertion, a besoin d’un souffle renouvelé. Lionel Jospin premier ministre s’y engage et Martine Aubry est ministre de l’Emploi et des Solidarités. Paulette Guinchard, députée récemment élue, souhaite être contributive à ces travaux et mobilise des connaissances, des réseaux, des personnes soucieuses et investies sur ces questions. Au-delà des cadres partisans et des appareils, elle souhaite entendre, écouter et réfléchir avec les acteurs locaux qui voudront bien s’y « coller » avec elle pour faire qu’à son niveau de parlementaire, la loi soit au plus près des besoins et fasse levier aux bons endroits.
Nous étions nombreux, sans doute plus d’une quarantaine ce premier soir, des militants associatifs côtoyaient des directeurs et cadres institutionnels, des travailleurs sociaux et tant d’autres, à débattre ce soir-là, à nommer les blocages, les insuffisances en matière de solidarité et un climat général malsain qui laissait à penser que les pauvres pouvaient être coupables de leur situation.
Cette écoute n’était pas la consultation éphémère de bon aloi de l’élu qui se penche pour entendre, elle était active, participative, impliquée dans le souci d’une connaissance du pratique, des pratiques, des faits au-delà des discours. Elle donnait à penser, à espérer qu’on peut agir sur le quotidien.
Je ne détaillerai pas les multiples réunions d’un groupe à géométrie variable qui se mit à travailler par-delà l’objectif législatif pour tisser des liens, susciter des dynamiques. La mise en œuvre d’une Mission d’Information Régionale sur l’Exclusion en découle.
Au cours d’un échange plus personnel, Paulette me dit que cette manière de faire, de mettre au travail des bonnes volontés en dehors d’un cadre formel interrogeait bien des « politiques », que seuls quelques-uns dans les coulisses de l’assemblée y trouvaient de l’intérêt, me disant quelque chose comme : « Mais enfin pour changer la société, il faut bien s’appuyer sur la société ».
Quand la loi de lutte contre les exclusions parut en juillet 98, tout en étant bien conscient que ces échanges et ce travail commun, ce qui se voulait contributif, était en décalage avec ce qu’il en résultait du fait même du parcours qui permit sa promulgation. Je n’en ressentais pas moins comme une certaine fierté d’avoir participé, si humblement soit-il, à ce nouveau socle de droits qui cherchait à s’immiscer dans bien des détails d’une lutte sans cesse à renouveler.
Avoir pu travailler avec Paulette Guinchard dans cette dynamique collective fut mémorable pour moi, pour le travailleur social que je demeure au fil de mon parcours. Mais cette rencontre fut aussi riche par la simplicité des relations que Paulette savait tisser, par l’énergie qu’elle dégageait, l’énergie qu’elle communiquait avec le sentiment que sans attendre un quelconque grand soir, on pouvait « changer la vie », agir sur le cours des choses et pour la dignité de chacun et de tous.