Paulette Guinchard s’en est allée
J’ai été son dernier directeur de cabinet alors qu’elle était Vice-Présidente de l’Assemblée Nationale. Juste avant que la maladie ne freine définitivement sa carrière politique, une carrière à l’époque en pleine expansion.
Elle avait occupé plusieurs postes de la vie politique locale : adjointe au Maire de Besançon, Conseillère régionale, etc.
Puis Secrétaire d’État dans un gouvernement de gauche dirigé par Jospin. C’est elle l’APA (la loi la plus avancée sur l’autonomie des personnes âgées),
Mais moi je l’ai connue bien plus tôt. Du temps d’une jeunesse commune à Besançon. Une jeunesse de belle vie et de militantisme à outrance. Elle était des toutes premières femmes féministes, et on ne peut pas imaginer combien son engagement radical avait dû lui coûter, à elle fille de paysans du Haut-Doubs.
En ce temps-là elle venait de quitter son boulot d’infirmière psy pour celui de formatrice pour femmes.
C’est de ce temps-là que je l’appelais Zaza, et je ne l’ai plus jamais appelée autrement que par ce surnom affectif très usagée par ses proches.
Je me souviens de bien des choses avec Zaza. Elle avait un incroyable don d’écoute. Surtout l’écoute de petites gens que la société et les aléas de la vie jetaient à terre. C’était surtout les samedis matin dans sa permanence de la Place des Tilleuls. Il n’y avait qu’elle et moi, et elle recevait toute la misère du monde, et elle prenait le temps de recevoir toute la misère du monde. Le plus souvent j’étais là à prendre note, mais elle comprenait que pour moi c’est vite trop insupportable, alors je retournais dans mon bureau, et on faisait le point vers midi, juste avant qu’elle fasse son tour du petit marché populaire sur la même place…
Et puis il y avait eu la question des élections régionales. Zaza n’avait pas annoncé sa candidature officiellement, mais tout le monde la savait favorite. Et j’étais là.
Elle tenait à ce que je sois présent quand elle recevait tous les notables régionaux qui venaient lui offrir leur soutien, et bien sûr lui proposer en échange leur dévouement pour tel ou tel poste de vice-président de la région.
Sauf pour un ancien notable de Belfort. C’était l’un des plus proches de Chevènement et c’était l’un des rares que je n’avais jamais apprécié de toute ma longue carrière à Belfort. Elle savait le mal qu’il m’avait fait, et alors elle l’avait fait patienter pendant que j’étais dans son bureau, et lui avait jeté après que c’est moi qui l’avais mise en retard parce que ce que je devais lui dire était très important. C’était mignon. On savait rigoler de ces choses-là, elle et moi.
Parfois je la conduisais pour ses meetings et conférences. Jusqu’en Lorraine. On se parlait sans cesse, mais à une demi-heure d’arrivée elle s’endormait pour une longue sieste.
C’est ainsi que j’avais eu accès, grâce à elle, à un réseau d’intellectuels autour de Martine Aubry. C’était d’une richesse inouïe. Je garde de très bons souvenirs des quelques rencontres auxquelles j’avais participé. C’est dans un restaurant parisien proche de l’Assemblée nationale.
Et puis c’était l’irruption d’une maladie génétique qu’elle soupçonnait pour des raisons familiales. Bien sûr j’ai été des tous premiers à le savoir. Avec toute l’équipe qui était très soudée autour d’elle.
Mes souvenirs de Zaza ne sont pas des souvenirs de ces débats politiques qu’on avait pourtant souvent et avec une franchise qui frôlait parfois l’irrespect (une posture polémique en legs des années 70). Non, mes souvenirs d’elle sont des souvenirs aimants, sympathiques, tendres. Je me souviens d’une femme très simple et très élevée à la fois. Une femme bien sûr calculatrice sinon elle ne serait jamais arrivée si haut, mais aussi d’une infinie sensibilité. D’une infinie préoccupation de ce qui arrivait aux siens. C’est-à-dire tous les humains où qu’ils furent.
Adieu l’amie !