La mort volontaire de Paulette Guinchard, Secrétaire d’État aux personnes âgées en 2001/2002, a suscité des réactions d’une ampleur et d’une sensibilité inédites. Il est rare que le décès d’un(e) ancien(ne) secrétaire d’État, suscite, près de 20 ans après son passage au gouvernement, de tels échos de sympathie. Pourquoi ? Chacun ira de son point de vue. Nous, anciens de son cabinet, voulons témoigner.
Parce que Paulette a su faire évoluer le regard porté sur les personnes âgées et su inscrire dans une politique publique l’humanisme de son approche. Parce qu’elle a été une femme politique exemplaire, d’une grande proximité naturelle avec les gens. Parce que la manière dont elle a assumé une mort programmée nous touche.
Son passage au gouvernement de Lionel Jospin a constitué un moment fondateur pour la politique en faveur des personnes âgées. Que de réformes menées, de mesures prises et de dossiers ouverts, en 13 mois ! Pour bosser on a bossé, dans le bonheur de l’action et de l’amitié, et dans une fidélité qui ne s’est jamais démentie. Ce qui est à noter, c’est l’approche globale, systémique, conduite et animée par Paulette : autour d’une réforme-levier, la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie, une révision, une adaptation ou une relecture de toutes les politiques et programmes publics ayant une incidence sur la vie quotidienne des personnes âgées. Gériatrie hospitalière, coordination gérontologique sur les territoires, modernisation des institutions sociales et médico-sociales, tarification des maisons de retraite, formation et valorisation des aides à domicile, premier plan Alzheimer, multiplication des initiatives intergénérationnelles (comme l’utilisation des « emplois jeunes » pour développer des gymnastiques adaptées en maison de retraite ou familiariser les résidents avec l’usage des messageries électroniques).
Autre point essentiel, la levée des tabous. Paulette aimait bien ça, lever les tabous, sans provoc mais non parfois sans malice … Tabous sur la vie sexuelle des vieux ; impérialisme du « jeunisme » ; exclusivisme médical dans la prise en charge du grand âge, aboutissant à la relégation des vieillards ; tabous sur la fin de vie et sur la mort, que, jusqu’au bout, elle a regardés en face.
Paulette, c’était aussi une autre façon de faire de la politique. Elle a incarné ce que l’on souhaiterait voir chez tous les femmes ou les hommes politiques aujourd’hui. Fidèle à des idées politiques sans être prisonnière d’une idéologie. Profondément enracinée dans le concret, dans le quotidien, dans les territoires. Aimant passionnément le débat et toujours prête au dialogue ; recherchant patiemment le consensus avec tous les femmes et les hommes de bonne volonté. Fière de ses origines (« je suis le seul membre du gouvernement à savoir traire les vaches »), indifférente aux ricanements qu’avait suscités, chez certains députés masculins, y compris dans le groupe socialiste, son petit accent franc comtois, lors de sa première séance de questions au gouvernement ; fière de son parcours depuis la JAC qui l’avait tant marquée. Elle se moquait du jargon technocratique et de la langue de bois politiquement correcte ; elle détestait le mot « seniors », son contenu vague et assez hypocrite, elle s’accommodait du terme « personnes âgées » et trouvait du charme à l’expression « nos ainés », mais elle préférait dire les vieux, comme tout le monde. Un parler simple et authentique, au service d’une expression claire.
Défavorable au cumul des mandats, elle avait décidé, après son élection à l’Assemblée nationale en 1997, d’abandonner d’autres mandats. Nous avons été frappés, en suivant dans les médias les réactions des passants happés par des micros-trottoirs, par l’empathie qu’ils manifestaient.
Deux ou trois jours par semaine, la ministre allait sur le terrain à la rencontre des élus, des associations, des responsables des administrations et des services publics, des professionnels, des résidents en maisons de retraite et de leurs familles, des journalistes de la presse quotidienne régionale. Expliquer, entendre les réactions, expliquer et convaincre, toujours ! Lionel Jospin – à qui elle a toujours voué une profonde admiration- avait bien saisi son profil humain et politique singulier, trop singulier hélas ! Dans un très bel hommage, il parle d’une « rencontre exceptionnelle » et qui l’avait marqué.
La mort programmée de Paulette nous a assommés, mais on ne peut que comprendre sa décision et admirer que, jusqu’au bout, elle ait voulu porter des valeurs d’émancipation. Pas une émancipation par rapport à la mort, bien sûr, mais une libération par rapport aux ravages d’une progression inexorable de la maladie, grignotant peu à peu toutes ses facultés de mobilité, de langage et de socialisation, étouffant progressivement ce qui donnait un sens à sa vie. Dans une juste et forte tribune parue dans « Libération », Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne Franche Comté, ancienne et fidèle amie de Paulette, nous dit à quel point la décision du suicide assisté fut difficile, pour une personne qui aimait tant la vie et les siens, même après une longue maturation, et à quel point on doit estimer la portée éthique et politique de son geste assumé. Le choix de Paulette devrait favoriser la résurgence de débats, non sur l’euthanasie, mais sur les conditions du suicide assisté, avant d’avoir atteint les ultimes souffrances de la fin de vie.
Sur tout ce qui nous a marqué chez Paulette, sa vision du vieillissement et de l’action publique au service des vieux, sa conception du rôle des politiques et de leurs rapports aux citoyens, la portée de son dernier combat, beaucoup reste à faire…Elle restera une référence, un exemple. On ne l’oubliera pas, nous ne t’oublierons pas.