C’est à travers ma vie professionnelle que j’ai eu la chance de rencontrer Paulette Guinchard.
Dès notre première rencontre, c’est de son regard dont je me souviens, de son sourire chaleureux, de sa voix chaude avec cet accent du haut Doubs qu’elle ne reniait pas, de tout son être : avenante, réconfortante, enthousiaste, attentive, à l’écoute… Nous nous sommes reconnues en tant que femmes, parce que toutes les deux nous étions avant tout des soignantes, mettant notre engagement auprès des plus faibles, des plus vulnérables, des oubliés, des invisibles, en particulier de ces vieillards malades, en perte d’autonomie, sur lesquels bien souvent la société porte un regard inquiet, un rejet non avoué : ne pas regarder ces vies qui seraient peut-être un jour la nôtre ! Ne pas comparer ces « séniors » actifs, dynamiques, engagés, et ces « vieux » inutiles, malades, déments, qu’il faudrait ne pas voir pour ne pas avoir peur !
La déchéance, elle est dans notre regard, pas chez ces vieillards malades.
La perte d’autonomie physique, psychique, intellectuelle, n’est pas un marqueur du vieillissement, elle témoigne de pathologies le plus souvent chroniques et dégénératives. Faire changer le regard sur la vieillesse, cela fait des années que la société milite pour cela, mais il reste toujours une peur fondamentale, inhérente à notre condition humaine.
Paulette Guinchard était une battante, engagée, convaincue que la politique était le chemin le plus noble pour faire avancer la société, et elle l’a largement démontré. Dès qu’elle fut élue à l’Assemblée Nationale, elle s’est lancée sur cette voie humaniste. Elle me fit le grand honneur de me demander souvent de réfléchir avec elle et d’autres professionnels sur ce qui devait être fait pour améliorer les conditions de vie de ces personnes âgées, dont elle devint la plus ardente des défenseurs. En 1998, elle me conviait à venir au Palais Bourbon, en ma qualité de Médecin Gériatre Hospitalier, pour échanger avec un groupe de parlementaires, chargé d’étudier le dossier des personnes âgées.
De même, elle m’a invitée chez elle pour travailler sur le rapport qu’elle préparait sur la politique en faveur des personnes âgées, à la demande du premier ministre. En 2001, elle fut nommée Secrétaire d’Etat aux Personnes Agées, et l’établissement hospitalier où j’étais alors chef de service a eu l’honneur de recevoir sa visite ministérielle. Ce ne fut pas une simple visite protocolaire, Madame la ministre a suivi avec beaucoup d’intérêt l’exposé de l’organisation de ce Centre de Soins (un établissement Hospitalier Public de Soins de Suite) pour le développement d’une offre de soins gérontologiques, diverse et complémentaire. Elle soutint alors énergiquement les différents projets, et en particulier la création d’un Hôpital de Jour (HDJ) d’évaluation et de réadaptation gériatrique, intégrant une consultation mémoire. Ce projet était innovant, le premier HDJ à ouvrir dans un établissement de Soins de Suite. Le soutien efficace de ce projet a alors permis l’ouverture de cette nouvelle unité au sein du Centre de Soins et de Réadaptation Les Tilleroyes à Besançon, en complément des consultations externes, en novembre 2002.
Et depuis Paulette est devenue « la marraine » de cet établissement, et le recommandait à ses proches. En 2013, elle nous faisait l’honneur de présider la cérémonie organisée pour les 10 ans de l’HDJ qui avait alors complété ses activités avec l’ouverture d’une consultation «soins des plaies et cicatrisation », une consultation « suivi de deuil », en lien très étroit avec les autres services de l’établissement et tout particulièrement avec l’Unité de Réhabilitation Cognitivo Comportementale nouvellement installée au CDSR Les Tilleroyes, et aussi avec le Réseau Gérontologique Bisontin porté depuis 2003 par ce centre hospitalier.
La confiance que portait Paulette dans notre établissement était un encouragement permanent à poursuivre nos efforts dans le sens de soins toujours plus respectueux, compétents, éthiques, avec bien évidemment une réflexion toute particulière sur les soins palliatifs.
Paulette Guinchard a toujours été à mes côtés, me faisant l’honneur de me présenter lors de ma nomination en qualité de Professeur Honoraire de l’Université de Franche Comté notamment. Nous étions devenues au fil de ces années très proches, même si nous ne nous ne nous retrouvions pas très souvent. Nous nous rencontrions lors de différents congrès, participant à des conférences, aux travaux préparatoires de l’Institut Régional du Vieillissement, au cours de certaines réunions de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie ou d’autres rencontres professionnelles …
Il y aurait encore tant à dire sur cette Grande Dame. Ce qui me touchait tout particulièrement était sa sincérité et l’intérêt qu’elle portait à nos propos, son enthousiasme pour les idées nouvelles, surtout si elles semblaient utopiques, la fougue de ses propos, la passion de son engagement, sa volonté farouche de faire avancer, et surtout sa gentillesse, sa foi en l’homme. Jamais elle n’a caché ses difficultés liées à sa maladie, cela ne devait faire aucune différence.
Paulette nous a quittés en faisant acte de son ultime liberté de vivre sa vie. Elle restera un exemple magnifique pour chacun.