Paulette Guinchard, l’écologiste
En 1983, Paulette est élue sur la liste d’Union de la Gauche de Robert Schwint et devient adjointe au Maire de Besançon, sous l’étiquette du PSU dont elle est membre depuis 1969. Sa délégation est intitulée « Environnement et Maitrise de l’Energie ». Le PSU tenait beaucoup à cette deuxième partie de la dénomination « Maitrise de l’Energie », appellation préconisée dans toutes les villes où il y aurait des élus.
Quel était le contexte à l’époque ? Nous étions dix ans après le premier choc pétrolier – et conséquemment – le programme Messmer qui allait propulser le nucléaire à des niveaux inégalés dans le Monde- et quatre années après le second choc pétrolier de 1979. Mitterrand, élu depuis deux années, avait accepté d’abandonner le projet de centrale nucléaire de Plogoff, en Bretagne. En même temps, il avait accepté de mettre en œuvre une proposition issue principalement d’un groupe issu de la CFDT et du PSU : créer l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME), regroupant plusieurs agences préexistantes et donnant une forte impulsion aux politiques d’économies d’énergie, notamment dans les bâtiments et les réseaux de chaleur, avec le Fonds Spécial de Grands Travaux (FSGT), ainsi qu’aux énergies renouvelables. Le numéro 2 de la CFDT, Michel Rolant en fut nommé président. Il rechercha alors des délégués régionaux à même de mettre en œuvre cette nouvelle politique sur le terrain. C’est ainsi que l’auteur de ces lignes, qui avait été secrétaire fédéral du PSU Doubs Haute-Saône, occupa cette fonction en Franche-Comté dès 1985.
Il s’agissait donc d’une option forte pour le PSU avec laquelle Paulette s’est sentie immédiatement très à l’aise. Tant de fois, elle a cité l’énergie comme étant l’un des trois sujets les plus importants pour l’avenir de notre société.
Huguette et Paulette
1983, c’est aussi l’année où Huguette Bouchardeau, secrétaire nationale du PSU, devint Secrétaire d’État à l’Environnement et au Cadre de Vie, avant de devenir Ministre de l’Environnement, de 1984 à 1986. Cette nomination s’inscrivait de façon logique dans un processus politique qui avait conduit le PSU, dès 1972 lors de son Manifeste de Toulouse à critiquer le « prélèvement sans mesure sur des ressources naturelles limitées, la pollution et la priorité donnée à un modèle de consommation purement acquisitif et quantitatif », et suggérer que « l’idée même de croissance soit discutée, ce qu’elle veut dire et ce qu’elle impose » (source : Le PSU, Laboratoire de l’Écologie Politique, Tudi Kernalegenn) Quelques années plus tard, en 1977, ce fut le « Vivre, Produire et Travailler autrement » qui permit de franchir une étape nouvelle au PSU sur cette voie. Le « Cadre de Vie » fut toujours traité en tant que tel, manifestant par-là la préoccupation de prendre en compte la vie quotidienne des gens (et pas seulement des concepts généraux).
Tout cela allait conduire à la candidature PSU d’Huguette Bouchardeau aux présidentielles de 1981, puis aux candidats PSU de concourir aux législatives sous les couleurs « Socialisme, Écologie, Droit des Femmes ».
Entre temps, le PSU participa aux manifestions anti-nucléaires, notamment contre Super Phénix (1977) ainsi qu’à de nombreuses autres luttes dans le secteur, en particulier contre le Canal à grand gabarit Rhin-Rhône, à partir de 1977.
D’ailleurs, dès 1977, Robert Schwint, maire de Besançon, avait déjà confié le portefeuille de l’Environnement à son adjoint PSU, Bernard Girardot, ancien salarié de LIP et syndiqué CFDT. L’autre élu PSU durant cette mandature était Claude Magnin. Nul doute que, à Besançon, le PSU représentait ce que l’on désignerait aujourd’hui le courant écologiste. Il existait un courant environnementaliste de tendance conservatrice, sous l’égide du Dr Sexe, qui par exemple, s’opposait à ce que le secteur de la Gare d’Eau – qui était à l’époque un no man’s land barricadé – soit aménagé. Cela semble hallucinant aujourd’hui tant cet endroit est prisé des bisontins, et doit nous faire réfléchir sur des oppositions de principes qui peuvent naître ici ou là, sans hiérarchisation des risques et avantages.
Le premier élu vraiment porteur d’écologie urbaine à Besançon, fut André Régani, Adjoint aux Transports de Besançon sous le mandat de Jean Minjoz, qui, dès 1974, réalisa le schéma de mobilité et de transports de la Ville avec un réseau de bus inégalé et les premières piétonisations de rues. L’impact sur la pollution de l’air et la qualité de vie urbaine fut remarquable. André Régani est décédé en 2020 du COVID 19
Le groupe PSU compte alors 4 élus : Roland Vittot, Michel Onimus, Pierre Rueff et Paulette. Mais, en 1985, le PSU disparaît pour l’essentiel. Huguette Bouchardeau lance « Libre Gauche » qui sera un mouvement très éphémère, qui aura toutefois permis à Paulette d’entrer au Conseil Régional dans « l’ouverture ». Elle adhérera ensuite au PS, avec un groupe de bisontins réunis autour d’un document intitulé « Hop là ! ».
Rapidement, une série de politiques sont lancées ou renforcées
Dès sa prise de fonction, Paulette engagea dans ces domaines des décisions importantes liées à ce que l’on commençait à appeler l’« environnement urbain ». Ainsi une série de politiques nouvelles, s’appliquant sur un terrain fertile et plutôt bien préparé à Besançon, avec des services techniques motivés, furent mises en place :
- la politique du bruit, avec une cartographie du bruit permettant d’objectiver les zones vulnérables afin d’y concentrer l’action publique ;
- la politique de l’arbre, qui permit notamment de répertorier sur un SIG tous les arbres d’alignement et des parcs urbains afin de permettre un suivi – et un soin – personnalisé, ainsi qu’une stratégie concrète de plantation ;
- la création du Jardin des Senteurs en bordure de l’avenue de l’Helvétie et du Doubs, toujours bien là ;
- la gestion des déchets avec la création d’une première déchetterie, d’une plateforme de compostage et l’optimisation de la production énergétique ; création de l’ASCOMADE (Association des Collectivités Comtoises pour la Maitrise des Déchets et de l’Environnement) qu’elle présidera, toujours existante ;
- la création de l’APIEU (Atelier Permanent d’Initiation à l’Environnement Urbain), que ferma quelques années plus tard une de ses successeures.
Paulette fut encouragée dans ses initiatives par Huguette Bouchardeau, alors secrétaire d’État puis Ministre, qui proposait des contrats « environnement urbain » qui furent conclu avec 6 villes en France, dont Besançon. C’était très nouveau à l’époque – et même très controversé – d’associer ces deux mots (environnement et urbain) car cela pouvait ressembler à un oxymore.
Dans son portefeuille, Paulette avait aussi les cimetières. Elle abandonna un projet de nouveau cimetière paysager mais s’engagea résolument pour la crémation. A cette époque, il était nécessaire d’aller se faire incinérer à Mulhouse ou à la Chaux de Fonds… en Suisse. Catholicisme ici, protestantisme là.
La Maitrise de l’Energie, un marqueur qui va se trouver récompensé
Dans le domaine de la maîtrise de l’énergie, Paulette s’engagea résolument dans une politique très active avec notamment :
- le diagnostic thermique de tous les bâtiments communaux, avec programmes de travaux ;
- la mise en place d’une télégestion des chaufferies, unique en France à l’époque, qui aboutit à une baisse de 30% des consommations ;
- le remplacement de toutes les chaudières au fioul (à l’époque, c’était par du gaz) ;
- la rénovation énergétique de l’habitat individuel et collectif avec l’Opération Marmotte dès 1985, qui visait dans le quartier de Montrapon à réaliser des diagnostic thermique à grande échelle, avec un accompagnement en conseils pour les travaux, des partenariats avec les professionnels et les banques ;
- l’extension progressive du réseau de chaleur de Planoise, le seul en France (en dehors de Paris et ses égouts) qui bénéficie d’une galerie souterraine dans laquelle passent tous les réseaux ;
- la cogénération à la station d’épuration de Port-Douvot, la cogénération à Planoise, une autre « première » ;
- et toute une série d’autres actions telles que « Voitures Propres » qui permettait de réaliser des diagnostics gratuits (bien avant l’obligation de contrôle technique).
C’est cet ensemble qui fut récompensé, en 1988, lorsque la Ville de Besançon reçut le Trophée National de la Maitrise de l’Energie (catégorie collectivités locales) organisée pour la première fois par l’AFME (ancêtre de l’ADEME). Paulette reçut ce prix au nom de la Ville à l’occasion d’une grande manifestation nationale.
A cette époque, Besançon apparaissait comme la Ville leader en ce domaine. C’est là par exemple que se tenaient les formations « Maitrise de l’Energie » du Centre National de Fonction Publique Territoriale (CNFPT) pour toute la France.
L’international, une nouvelle dimension
En 1989, Paulette devint Adjointe aux relations extérieures (création du district, précurseur de la Communauté Urbaine) et internationales. Ces nouvelles responsabilités l’emmenèrent vers de nouvelles initiatives et innovations.
Elle n’oublia pas cependant ses responsabilités antérieures. Elle eut à cœur de mettre la transition énergétique (que l’on n’appelait pas encore ainsi à l’époque) dans les relations internationales et de jumelage : avec Martigny en Suisse ; avec Bielsko-Biala en Pologne qui créa la première « cellule énergie » de ville dans ce pays et un programme de gestion d’énergie, expérience à partir de laquelle fut créée Polska Siec Energie-Cités en 1994 ; avec Bistrita en Roumanie, où pour la première fois dans ce pays, en 1994, une avenue fut dotée d’un éclairage public digne de ce nom. Le tout avec le soutien des services techniques de la Ville qui se sont investis sans compter, notamment Henri Schneider et Pierre Hottovys.
A partir de l’acquis rappelé plus haut, il est devenu crédible que la Ville de Besançon, sous l’égide de Paulette et l’appui sans réserve de Robert Schwint côté politique et Jean-Luc Boyer côté services, prenne l’initiative de créer en octobre 1990, après deux années de gestation, sur la suggestion de l’auteur de ces lignes alors Délégué Régional de l’AFME, une association qui prit le nom d’Energie-Cités.
L’aventure d’Energie-Cités
Son but ? Mettre les Villes en situation de devenir des acteurs dans les politiques énergétiques, lesquelles devaient être décentralisées. Pour cela, développer des échanges et les projets communs avec les villes d’autres pays européens. Ainsi fut créée une structure associative réunissant des élus de la Ville de Besançon, du Conseil Régional de Franche-Comté et de responsables de l’AFME (à l’époque, une association de personnes !), avec Robert Schwint à la présidence, une petite équipe salariée se forma avec un appui financier de l’AFME et de la Région, et l’aventure européenne commença.
La Commission européenne finançait depuis plusieurs années, une action dénommée PERU (Programmation Énergétique Régionale et Urbaine). Avec un très petit budget, la Commission aidait à financer des études énergétiques stratégiques dans les villes et régions, dans le but d’accroître leurs capacités d’action. Après plusieurs années, la Commission souhaita faire mieux connaître cette initiative. Elle sélectionna 12 villes en Europe, une par pays à l’époque, afin de réaliser une monographie sur chacune d’elle. Besançon fut la ville française choisie !
Que faire avec 12 monographies ? La Commission décida d’organiser une Conférence à Mannheim, en Allemagne qui devait se tenir en février 1992. Mais quoi après une conférence ? La nature ayant horreur du vide, l’année 1991 fut consacrée, grâce à Energie-Cités, à préparer le terrain pour la suite. Plusieurs réunions furent organisées avec quelques villes et la Commission européenne à Besançon, à Bruxelles, à Berlin, avec un tout petit groupe de villes telles que Newcastle, Amsterdam, Mannheim, Berlin et Besançon, afin de poser les bases d’un appel à créer un réseau de villes européennes. Cet appel serait présenté en fin de Conférence de Mannheim. Et qui a présentera cet appel ? Paulette bien sûr!
Le processus démarra et pris de l’ampleur. La Commission apporta un financement pour réaliser des rencontres thématiques à partir d’un premier noyau de villes, le tout coordonné par Energie-Cités. Il apparut progressivement possible de transformer Energie-Cités en une association formelle de Villes (et non plus de personnes), ce qui fut fait en décembre 1994 avec une vingtaine de villes, à Newcaste-upon-Tyne dans le nord de l’Angleterre. Robert Schwint, en tant que maire de Besançon, y fut élu président, fonction qu’il assuma jusqu’en 1996, avant de transmettre le relais à Barcelone.
Paulette continua de suivre avec attention la vie d’Energie-Cités, en participant à quelques réunions de conseil d’administration. En 2010, elle participa aux 20 ans de l’association à Salerno (Italie).
Aujourd’hui devenue Energy-Cities (https://energy-cities.eu/fr/) l’association réunit un millier de villes de 30 pays. Une équipe de 25 personnes y travaillent, à Besançon (siège, à ex-LIP), Bruxelles, et aussi, Freiburg, Budapest et Lviv. Le Réseau coordonne l’ensemble des plus de 10 000 villes engagées volontairement pour les objectifs climat-énergie de l’Union européenne au travers de la Convention des Maires (https://www.conventiondesmaires.eu/). L’association vient de fêter son trentième anniversaire.
Paulette n’aura pas réalisé tout cela seule. Ce n’était pas son style et l’ampleur de la tâche la dépassait naturellement. Mais, en responsable politique, elle avait la vision des enjeux et de ce qu’il convenait de faire. Elle a fait confiance à ses partenaires. Elle a accompagné sur le terrain. Elle en a été l’ambassadrice.
Elle a contribué de façon significative à faire avancer la cause écologique. C’était il y a 30 ans.