Paulette Guinchard-Kunstler, carte merveille, Libération, 15 janvier 2002
Guinchard-Kunstler, 52 ans, secrétaire d’Etat aux Personnes âgées. Lionel Jospin la cite en exemple.
Un couple s’apprête à s’embrasser à pleine bouche. Des rides parcourent, creusent, embellissent les visages de l’homme et de la femme. De l’amour, couleur sépia. Paulette Guinchard-Kunstler a choisi la photo elle-même. Au dos, la secrétaire d’État aux Personnes âgées écrit ses voeux. A certains heureux destinataires, «madame la ministre» glisse un roman, en guise de cadeau de début d’année. Dans Une si longue lettre (le Serpent à plumes), la Sénégalaise Mariama Bâ écrit: «Mon coeur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre.»
Ces temps-ci, c’est Paulette Guinchard-Kunstler qui émerge de l’ombre, et veut bousculer les «contraintes sociales». Elle est devenue, malgré elle, la favorite de Lionel Jospin. C’est un conseiller de Matignon qui l’affirme: «Elle fait partie du trio de tête avec Mélenchon (Enseignement technique) et Patriat (Commerce et Artisanat)». Chouchoute mais pas chouchoutée: Jospin se sert d’elle et des autres pour parfaire son image de candidat. Honnête et travailleuse. Paulette n’est pas du genre Pompadour. Elle n’en a pas le physique. Ni le sens de l’intrigue ou le goût du pouvoir à tout prix. Elle est du genre plutôt tâcheronne, bûcheronne même, cette native d’une famille de paysans du haut Doubs.
Sur ce coup-là, Jospin ne s’est pas trompé. Au lendemain des municipales de mars dernier, le Premier ministre cherche une remplaçante à Dominique Gillot. La secrétaire d’Etat aux Personnes âgées et aux Handicapés, qui n’a pas réussi à s’imposer, vient d’être élue maire et démissionne illico du gouvernement. Il faut chercher une autre femme. Et, tant qu’à faire, une qui a une certaine appétence, si ce n’est compétence, pour son futur maroquin. Paulette Guinchard-Kunstler a exercé le métier d’infirmière en psychiatrie et a formé de nombreux soignants à l’accompagnement des personnes âgées. Devenue députée en 1997, elle a écrit un rapport parlementaire intitulé Vieillir en France, qui fait autorité dans le milieu de la gérontologie. Bingo. Un simple coup de fil et l’affaire est faite. Au passage, la nouvelle secrétaire d’Etat perd compétence sur les handicapés. Ségolène Royal a fait des pieds et des mains pour récupérer ce dossier.
Jospin nomme la Franc-Comtoise sans la connaître. Elle déboule au gouvernement la trouille au ventre, la certitude de se planter. Elle le dit, en parle à sa famille, sa maman, ses sept frères et soeurs. A sa nièce et filleule, Rose-Marie, 18 ans. L’étudiante en horlogerie, qu’elle trimbale dans tous les meetings et réunions obscures depuis qu’elle est toute petite, l’encourage. Son fils aussi, Georges, et bien évidemment son ex-mari, monsieur Kunstler, militant de Lutte ouvrière, qu’elle a quitté parce que la politique les a bouffés. Les Guinchard font bloc, rassurent leur «Zaza». C’est ainsi, que dans la vie, on la prénomme.
Lorsqu’elle naît, juste après-guerre, la petite Guinchard est la quatrième fille de la famille. Le père, paysan, est désespéré: il n’y a pas de gars pour reprendre la ferme. On se rappelle, alors, un truc de bonne femme au pays de la Cancoillotte et du Comté. Il suffit de donner à la dernière-née le prénom de sa maman et, c’est sûr, le prochain bébé sera sévèrement burné. Paulette est devenue Paulette par la grâce de sa maman et de la légende. Mais depuis qu’elle est môme, tout le monde lui donne du Zaza. Fallait bien la distinguer de sa mère.
Donc Yoyo ne connaît pas Zaza, lorsqu’il l’accueille, le 22 mars 2001, pour la première fois en réunion de ministres. Il l’a pourtant vue, quelques semaines auparavant, en campagne électorale à Belfort. Il ne la «remet» tellement pas, qu’il l’accueille avec un «Bonjour Nicole». Autour de la table, ces messieurs dames, les ministres bien nés, bien élevés, pouffent. Paulette-Zaza les voit, les sent, les oublie. Depuis Yoyo sait que Zaza s’appelle bien Paulette. A plusieurs reprises, le Premier ministre rend grâce à son travail, la cite en exemple.
Le 20 décembre, devant un parterre de 300 sommités de la gérontologie, il lui sert, dans un lapsus dont il a le secret, un «madame la ministre d’Etat». Un rang que même la «patronne» de Paulette, Elisabeth Guigou, présente ce jour-là, n’a pas. Souvent, Lionel Jospin dit: «Raconte-moi, explique-moi ce que tu fais.» La secrétaire d’Etat s’exécute volontiers devant d’autres ministres, les grands, les forts en gueule et en communication, qui jalousent sa cote. Elle narre ses 40 réunions en province 300 personnes en moyenne à chaque fois depuis septembre dernier pour populariser l’Aide personnalisée aux personnes âgées. La secrétaire d’Etat est un peu la maman de cette APA, qui distribue soutiens financiers et psychologiques aux vieux et à leur famille. Partout elle explique, répond aux inquiétudes, est attentive à chaque cas. Même Arnaud Montebourg n’en est pas revenu. En Saône-et-Loire, six cents personnes sont venues écouter la secrétaire d’Etat. Verdict du député: «Ils étaient bluffés. Ils me demandaient: « Pourquoi ils sont pas tous pareils que ta Paulette les autres ministres? » C’est vrai qu’elle est simple, directe, brillante. Elle est parfaite Paulette.»
Zaza n’en demande pas tant. Elle, ce qu’elle prétend, c’est «organiser réellement la solidarité, apaiser les souffrances, rompre les isolements». Fille, à la fois, de l’Action catholique, de la CFDT, de la lutte des LIP à Besançon et du PSU, elle est entrée en politique simplement «pour que les gens vivent mieux». Avec une certaine naïveté: elle a raté l’investiture du Parti Socialiste contre Jean-Louis Fousseret aux municipales de mars à Besançon pour ne pas avoir fait campagne auprès des militants socialistes. Elle qui n’en revient pas d’être ministre et s’étonne de la «méchanceté» de ses adversaires. Elle qui n’est pas parisienne pour un euro mais bisontine par tous les pores de la peau, et goûte chez elle les délices de la notoriété. Elle qui n’écrit pas de livre pour dire tout le bien qu’elle pense de Lionel Jospin, mais «regrette de ne pas le connaître assez. Il regarde ce que je fais… enfin je crois. Il écoute beaucoup. C’est très agréable pour moi». Elle qui espère, sans vraiment trop y croire, que le Premier ministre lui demandera de «faire quelque chose» pendant la campagne présidentielle. Elle qui s’inquiète parfois d’apparaître comme le vilain petit canard dans la mare aux ministres tout en espérant, secrètement, finir par y devenir un cygne.